Il fut un temps où on les incarcérait; il en fut un autre où on les exilait. De tous les temps, les écrivains des quatre hémisphères se sont vus contraint d’écrire sous le regard attentif d’un bienveillant chaperon. Ainsi, offenser l’Église ou encore répandre une propagande assurait une très courte carrière à celui ou celle qu’on semait d’injures. La censure mena ainsi, et pendant bon nombre d’années, l’élite intellectuelle de la société. Puis tranquillement, les règles en vint à s’assouplir et on retrouva une section pour ces éclopés de la littérature dans les bibliothèques : l’index. Les traditions mises de côté, les auteurs s’en donnèrent dès lors à cœur joie pour écrire sur tous les sujets possibles, de toutes les manières possibles. La fierté nationale fit également son œuvre, ce qui mena à la rédaction de textes moins structurés et plus familiers. Je crois fermement que les oeuvres typiquement québécoises ne peuvent être exportées. Les types d’échanges entre les personnages et les expressions employées dans les textes ainsi que le contexte socio-culturel de la région me portent à croire qu’il est impensable d’exporter de telles œuvres.
Pour débuter, la culture québécoise ne peut pas être exportée parce que l’utilisation du joual et des expressions familières rendrait la compréhension de l’œuvre ardue pour des personnes qui ne sont pas habituées à ce type d’interventions. Dans un même ordre d’idée, la traduction d’œuvres québécoises traditionnelles est impossible dans la mesure où un bon nombre de nos expressions proviennent du jargon coutumier. La traduction de tels textes s’avèrerait inexacte et ne produirait certainement pas l’effet escompté à l’origine par les auteurs. Remplaçons, le temps d’un exemple, le phénomène de l’exportation de la culture québécoise par une importation de la culture arabe, ici même au Québec. Serions-nous tenté d’aller voir une pièce de théâtre dont on ne comprend pas le sens des dialogues puisque les expressions, même traduites, ne nous disent rien? À cet effet, je crois qu’un effet de non compréhension rendrait la pièce très lourde. De plus, si on tient compte du cynisme ou de l’absurdité des personnages de textes traditionnels, il est impossible de songer que tout public s’en réjouirait. Tout dépendant des régions où de telles œuvres seraient exportées, il est certain que les classes sociales plus conservatrices ne comprendraient pas l’humour qui est dégagé. Certaines œuvres considérées comme étant offensantes pourraient même soulevées d’importants tollés. À titre d’exemple, si le roman de Michel Tremblay, Un Ange cornu avec des ailes de tôle, en venait à être exporté, les pays moins ouverts et plus conformistes s’insurgeraient rapidement devant les scènes d’homosexualité. Les expressions, les termes spécifiques employés ainsi que les caractéristiques des personnages ne peuvent être bien perçus que par quelqu’un qui connaît la culture dans laquelle nous vivons.
Ensuite, j'estime impossible l’exportation d’œuvres québécoises parce que les textes populaires font souvent état de lieux que seuls le Québécois d’origine connaît. En guise d’exemple, la pièce de théâtre Les Voisins, dressant un portrait absurde de ce qu’est la vie de banlieue, fait souvent mention du feu supermarché Steinberg, probablement inconnu outre-mer. Pour ce qui est des histoires de Tremblay, elles se déroulent, pour la plupart, dans divers quartiers de la métropole. Contrairement à un public étranger, le Québécois peut facilement s’imaginer de quoi a l’air la rue lorsque l’auteur la décrit comme ayant, du côté nord, un nettoyeur Daoust, et de l’autre, un dépanneur Couche-Tard! D’autre part, considérant que les stéréotypes québécois ne sont pas les mêmes que ceux des autres pays, il est inconcevable qu’un peuple étranger puisse déceler toutes les subtilités qui découlent d’un personnage caricaturé. À cet effet, nous, Québécois, pouvons facilement discerner le vrai de l’exagéré dans la représentation des banlieusards qu’ont fait Claude Meunier et Louis Saïa dans leur populaire pièce Les Voisins. Ainsi, nous savons que les gens habitant la banlieue se côtoient fréquemment et entretiennent avec soin leur terrain et leur piscine. Malgré cela, nous sommes capable d’identifier que les personnages de Bernard, Georges et Jeannine, qui vouent respectivement un culte pour une haie, la mayonnaise, et une automobile, sont des caricatures. Mais les Européens ou les Africains, qu’en savent-il? Seraient-ils vraiment intéressés à rire de quelque chose qu’ils ne connaissent pas? Le contexte socio-culturel a donc un grand rôle à jouer dans la compréhension d’une œuvre.
L’exportation de la culture québécoise nécessiterait donc un ajustement des termes employés dans les dialogues de façon à ne pas choquer, insurger ou encore confondre le public étranger. C’est pourquoi une exportation intégrale est impossible. Nous pouvons donc nous demander si exporter nos œuvres nationales vaudrait la peine, considérant que leur contenu original serait altéré, cette originalité étant l’essence même des œuvres formant notre patrimoine.